Rencontre avec Sam de la chaîne Youtube Une Chanson l'Addition

Sam est journaliste, youtubeur, dessinateur, historien des musiques amplifiées, écrivain, ancien animateur radio, conférencier et même organisateur de cérémonie musicale. Rencontre avec Sam de la chaîne Youtube Une Chanson l'Addition.
TST : Qu’est-ce qui vous définit le mieux ? Et qu’est-ce qui vous fait le plus vibrer ?
Sam : C’est l’ensemble et la complémentarité de ces activités qui me définit, car elles ont toutes un tronc commun : le journalisme... C’est-à-dire le fait de choisir un sujet (plutôt qu’un autre) ; de collecter des informations brutes et tisser des liens entre elles ; de les remettre dans leur temporalité (et éventuellement les commenter) ; puis enfin de trouver la forme de restitution la plus adéquate pour les faire connaître. Qu’importe le support ou la cible : le métier et la méthode restent les mêmes ! D’autant que la musique est souvent le moyen d’expression privilégié de la jeunesse contre le conformisme... Son histoire et son étude sont donc un prétexte intarissable et passionnant à l’exploration de contextes historiques et sociaux.
Ce qui me fait le plus “vibrer“ dans ces mises en valeur (et que je résumais dans un TEDx en 2019), c’est ce juste retour des choses : j’ai été marqué, plus jeune, par le même type d’histoires raconté par la presse spécialisée ou les grands frères d’amis...
En tant que journaliste, qu’est-ce qui vous agace le plus, avec les attachés de presse, les artistes ou bien avec les journaux pour lesquels vous travaillez et qu’est-ce que vous aimeriez de leurs parts ?
Plutôt qu’un reproche général, c’est plutôt le maintien d’un cercle vertueux dont nous avons tous besoin. Tout comme l’industrie musicale peine actuellement à trouver son modèle économique, le métier de journaliste est une activité chronophage qui manque de plus en plus de moyens… Or, parce que le temps n’est pas extensible et qu’il n’a jamais existé autant de propositions musicales (notamment depuis l’abolition des frontières physiques grâce à Internet), nous avons toujours besoin de personnes qui défrichent, analysent et composent.
Soutenir financièrement un projet musical (achat d’album, merchandising, places de concerts…) ou un média (abonnement ou achat impulsif) permet ainsi d’assurer une continuité, que ces entités n’aient pas recours à certaines facilités, mais surtout de se doter de moyens supplémentaires, améliorant de fait sa qualité... À ceux donc qui se sentent sous-représentés (programmation radiophonique, télévisuelle ou au sein de festivals), c’est en soutenant cet écosystème fragile que l’on peut agir – chacun – sur les visibilités d’un style ou d’un artiste !
A contrario qu'est-ce que vous appréciez le plus ?
Les rencontres, évidemment, même si la réponse peut paraître démagogique ou naïve... Malgré les nombreuses sollicitations ou concerts à couvrir, le journalisme reste un métier solitaire face à sa feuille blanche ! Arriver donc à installer un dialogue équilibré avec un artiste, créer un lien de confiance qui s’enrichira avec le temps et lui faire formaliser un processus créatif parfois inconscient est, je l’espère, autant enrichissant pour ses acteurs que ceux qui en découvrent l’histoire. Ça l’est en tout cas pour moi.
Sur votre chaîne YouTube Une chanson l‘addition, vous avez plusieurs formats : de la pastille courte à l’histoire à écouter au coin du feu. C’est important les histoires ? Est-ce que vous accordez plus d’importance à la mélodie, aux paroles, au contexte de la chanson ?
Selon l’histoire que l’on veut raconter, la forme est effectivement essentielle. Il ne s’agit évidemment pas de travestir la réalité (ou de surjouer un personnage), mais voyez comme une blague dans la bouche d’un autre n’aura pas la même emphase ou impact… C’est pour cette raison que j’invite chacun à prendre du recul sur les chroniques d’album, par exemple. Il ne s’agit que de l’avis personnel d’un journaliste, au regard de son expérience (souvent plus étoffée, donc plus exigeante) mais aussi via la ligne éditoriale précise d’un média… De même que j’incite à dépasser le cadre de ce seul média. Si vous vous sentez en phase avec les goûts d’un journaliste (ou youtubeur, qu’importe), n’hésitez pas à le voir/lire/écouter sur d’autres supports en dépassant la barrière des titres les plus identifiés/accrocheurs : vous pourriez faire de belles découvertes !
Quant à l’appréciation d’un artiste, je vais être naturellement attiré vers la dissonance, la fusion des genres, la plus lourde présence de basse et/ou un discours revendicatif – fruit naturel de mon adolescence dans les années 90 (même si l’émotion peut souvent surgir là où on ne l’attendait justement pas…). De là à décider d’en parler, il faudra tout de même que cette histoire dépasse le simple cadre de la musique.
Si je vous dis que vous êtes le nouveau Philippe Manœuvre, vous le prenez comment ?
Je le prends bien, même si la comparaison me semble très disproportionnée… D’autres plus identifiés et bien plus talentueux (Gilles Verlant, Francis Zegut, Antoine de Caunes…) ont été – chacun dans leur style – de vrais défricheurs inspirants. Je ne prétends donc pas avoir la paternité du genre ! À moins de sortir un 10e livre sur les musiques rock et d’être appelé par une chaîne de télévision ou radio nationale (ce qui est peu probable), il serait bien présomptueux de s’imaginer au même niveau…
Youtubeur, c’est un métier qui fait rêver mes enfants (oui, vous faites partie de mon plan machiavélique sobrement appelé "l'éducation"). YouTube, ça paye bien ou est-ce qu’il vaut mieux qu’ils se lancent dans la musique ?
Pour les raisons évoquées précédemment, j’ai toujours du mal à m’imaginer “youtubeur“… Pour moi, cela reste toujours une extension de mes articles réalisés par exemple dans le magazine Rolling Stone (si ce n’est que j’engage plus mon corps dans la narration et que les retours sur l’écriture sont plus “immédiats“).
Concernant YouTube donc, il faut davantage envisager la plateforme comme un vecteur de visibilité qu’une réelle source de revenus [pour info et/ou rappel : une vidéo ayant 1 millions de vues rapporte environ… 600 dollars – faites le calcul avec UCLA]. À moins de multiplier les placements de produits (quid de la liberté de ton ?), le ratio investissement/temps/retour est donc aussi disproportionné que déséquilibré.
Si toutefois un projet musical trouve son public – avec ce facteur travail/rencontre/chance/air du temps aléatoire –, il y a effectivement une plus grande probabilité que les revenus soient plus significatifs… Cependant, l’une ou l’autre option ne devrait s’envisager que sur l’envie/le besoin de chacun, car ce ne sont tout de même pas les mêmes métiers.
Comment le rock peut-il rattraper le rap qui truste les écoutes sur les plateformes numériques aujourd’hui ? On annonce la mort du rock depuis qu'il est né... Est-ce que le rock est plus mourant aujourd'hui qu'il y a 50 ans ?
Le rock ne peut truster les écoutes des plateformes numériques du rap que s’il y est évidemment consommé. Pour y remédier, il en revient donc à la liberté individuelle de chacun, que ce soit les auditeurs, les médias… ou les propositions des artistes (là où il y a demande, l’offre s’enrichit naturellement). D’où la nécessité de maintenir une curiosité ou de continuer à rappeler les bases/filiations ! Car, dans une époque où la quasi-totalité de la bibliothèque musicale mondiale est disponible en ligne, comment (re)découvrir Led Zeppelin si personne ne vous en raconte l’histoire et/ou redonne le goût ?
C’est d’ailleurs ce qui en explique sa supposée mort : parce que le genre est moins visible/relayé, on le considère à tort comme disparu… En France, les chiffres de fréquentation du Hellfest ou du Motocultor, les ventes d’artistes comme Ultra Vomit ou Gojira, la bonne santé de labels dédiés (VeryCords, Athome…) ou de tourneurs comme Rage Tour (No One Is Innocent, Tagada Jones, Lofofora…) démontrent pourtant une vitalité actuelle. En 2019, l’Irma recensait même pour ce genre : 1 198 groupes rock/folk/metal français, 793 festivals, 937 salles, 575 entrepreneurs de spectacles, 609 labels et 216 titres de presse !
Que les musiques amplifiées, le plus souvent basées sur la contestation, réintègrent sa place alternative (d’origine) sur l’échiquier musical n’est pas une mauvaise nouvelle, si cela lui permet de se remuscler... Elle montre cependant, plutôt qu’une banalisation qui ne correspondrait pas à son discours, le chemin à parcourir pour veiller à maintenir sa reconnaissance dans le paysage français.
Quels sont vos groupes préférés du moment ?
Si la musique m’accompagne une quinzaine d’heures par jour, mes goûts changent régulièrement et – hors classiques personnels – sont souvent liés à des écoutes dans un cadre professionnel. Ces derniers mois, après une période Théo Charaf et Pogo Car Crash Control, j’ai donc beaucoup consommé les prochains albums de Gojira, Special Friend, Yard Of Blondes, Sébastien Guérive… L’année 2020 ayant repoussé beaucoup de sorties, préparez-vous d’ailleurs à un gros embouteillage cette année : la plupart des principaux groupes de rock et de métal mondiaux sorte quelque chose. De quoi rendre les tournées promotionnelles de 2022 assez étourdissantes…
Quelle question vous rêveriez de poser et à quel artiste ?
Restant obsédé par le “pourquoi“ des choses (le contexte d’un processus créatif, la corrélation entre l’homme et son action en tant qu’artiste…), il y a bien sûr les éternels rêves comme Zack de la Rocha (Rage Against The Machine) ou Rick Rubin (producteur de Run-DMC, Slayer, RHCP, Johnny Cash…). Mais avouons qu’un pas de côté comme disserter avec Donald Trump de ses passions musicales serait tout aussi excitant ! Comme l’appréciation de la musique reste très personnelle – car liée à des tranches de vie –, les goûts artistiques permettent souvent de révéler une histoire intime passionnante… ou au mieux éclairante !
Quelle question auriez-vous aimé que l’on vous pose et quelle serait la réponse ?
On le sait moins, mais je suis un passionné de bandes dessinées (j’en lis une dizaine par semaine, depuis mon adolescence) et de séries. Aussi, pour ceux qui ne les ont pas encore lus, je recommande quelques vieux livres de chevet : Transmetropolitan, Punk Rock Jesus, Tokyo Ghost, Transperceneige… ou encore Le dictionnaire de la mauvaise foi musicale. Et côté série, vous aurez du mal à me faire dire du mal des classiques Star Trek Next Generation, Twin Peaks, The Twilight Zone, Spin City, The West Wing… Mais ça, c’est un autre débat.
Pour vous abonner : https://www.youtube.com/channel/UCPpNtkHeCnwN7Tl5oLq4AAg
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