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Renaturer Rouen : Faire le deuil de la nature ?

Caroline Caplan

Pour les initiés, la renaturation est un paradoxe. Ce terme, qui vient du mot « nature » semble vouloir introduire l’idée que les espaces seraient vierges de toute action de l’homme. Ainsi, la renaturation cache la réalité d’un aménagement anthropique, entrepris donc par l’homme. Ainsi, le « Plan de renaturation » de la ville de Rouen interroge sur ses fondements et nous sommes en droit de nous demander sur quelle idée de nature ce plan de renaturation repose-t-il ? Car la ville durable permet de réinterroger l’idée de nature et c’est peut-être ça qui est le plus intéressant. La nature en ville nous demande peut-être en effet de faire le deuil d’une nature mythifiée.


La renaturation : villes vs campagnes ?


« L’environnement c’est la nature et la nature c’est la campagne »
Mathieu et Jollivet, 1989

Renaturer ou re-naturer introduit une idée de réparation et de réintroduction d’une nature qui a été supprimée par les activités humaines. Aussi, il est impossible d’évoquer la renaturation sans évoquer l’idée de « nature » et d’espace « naturel ». Dans l’imaginaire collectif, la nature est associée à tout ce qui n’est pas urbain : l’espace rural donc. Celui-ci est d’ailleurs de plus en plus prisé dans notre contexte pandémique.

Mais l’espace rural est-il naturel ? Les paysages d’openfield, de bocages, les clos masures, les forêts, les zones humides, les parcs naturels régionaux et nationaux...ne sont-ils pas des artefacts ? Même les endroits les plus protégés peuvent aussi êtres soumis à l’artificialisation et l’anthropisation. Les parcs naturels sont semés de chemins utiles aux loisirs des usagers. Même la « wilderness » à l’américaine n’est pas sans être sous les effets de l’anthropisation : au Canada, 10 millions de touristes par an vont se délecter de cette « nature » qui pourtant est bien aménagée pour eux. Que dire encore des loups réintroduits dans les Alpes et le Massif Central et qui donnent aujourd’hui l’impression d’une nature sauvage.



La renaturation suppose donc une redéfinition de la nature. Du moins, la renaturation nous force à nous entendre sur cette notion polysémique. Pour cela, il semble évident de commencer par ce que la renaturation n’est pas : une désanthropisation.


La renaturation ce n’est pas la désanthropisation !


Dans la première moitié du XXe siècle, Frank Loyd Wright dans son ouvrage « The disappearing city » (1932), a mis au point un concept d’urbanisation utopique permettant de remédier à la séparation nature/culture que Wright constatait dans les villes modernes. Aussi il imagina une ville (Broadacre City) dans laquelle une place prédominante était accordé à la nature, noyant le bâti dans la végétation. Paradoxalement cette utopie fait penser à Singapour, désormais connue pour son urbanisme ambitieux. Avec ses cinq millions d’habitants, seulement 50 % de l’espace est minéralisé (entendez par là bétonné). Récemment c’est le projet Tengah qui place la ville de Singapour au sommet d’une nouvelle hiérarchie des villes durables. Ce projet se présente comme une expérimentation de la ville du futur : une ville sans voitures (apparentes). Le quartier est uniquement traversé par des pistes cyclables et chemins piétonniers (une trame urbaine verte et brune) auxquels s’ajoute une ligne de transport en communs à la surface. Les mobilités douces se placent ainsi à la surface reléguant l’automobile aux espaces sous-terrains.



Cet exemple est symptomatique d’une ville qui cherche à se réinventer, mouvement que l’on constate depuis la charte d’Aalborg  de 1994. Celle-ci consiste en un véritable travail sur l’aménagement durable de la ville  en transposant aux espaces urbains, les préconisations du Sommet de la Terre de Rio en 1992. Mais de Rouen à Singapour, cette nature en ville, si elle n’est pas synonyme de désanthropisation que peut-elle être ?


Si l’on regarde de près le plan de renaturation de la ville de Rouen, plusieurs axes sont identifiables. En tant que réponse au réchauffement climatique, le plan de renaturation envisage le retour à l’équilibre des sols et des écosystèmes (inventaire global de la biodiversité) favorisés par la création de corridors écologiques (trames vertes pour connecter les espaces verts et brune pour la continuité des sols).


A Rouen, c’est une nature domestiquée ou aménagée, mise au service de l’homme qui est envisagée : l’agriculture urbaine entièrement contrôlée par l’homme en fait partie. A Rouen, quelques jardins partagés se constituent dans les nouveaux quartiers (écoquartier Luciline par exemple) et sont envisagés dans le nouvel écoquartier Flaubert duquel commencent à sortir de terre les premiers bâtiments. Cette nature qui est envisagée ici n’est ni sauvage (exempte de toute intervention humaine) ni pour autant celle de l’artefact (pollutions de type Lubrizol).


Or, renaturer implique de faire des choix (politiques). Car la renaturation peut cacher un aménagement arbitraire, tout aussi arbitraire que ce qu’il souhaite remplacer.


La renaturation est-elle un permis de détruire ?


Sans aucun doute votre imagination sera débordante face à l’évocation de la nature et de paysages : flore luxuriante, faune sauvage voire domestiquée. Peu de chance que vous pensiez aux moustiques à l’évocation de la faune sauvage ! La renaturation pose la question de la valeur affectée à la nature et au paysage. Puisque la renaturation est opérée par les sociétés humaines, c’est l’homme qui projette sa culture dans la nature. Les friches actuellement détruites à Rouen pour laisser place à l’écoquartier Flaubert peuvent tout autant être considérées comme des espaces naturels. Mais alors pourquoi ne pas les considérer comme tels ?


Aujourd’hui, la nature s’apprécie par les services qu’elle rend aux sociétés humaines. Ainsi, seule la biodiversité remarquable n’a de place dans la ville aux 100 jardins. Quelques 400 orchidées rouennaises doivent donc leur salut à leur rareté ayant motivé les équipes municipales à les préserver sur le boulevard Aristide Briand


Les espèces qui se développent dans les friches sont considérées comme des espèces invasives et indésirables. La ville durable constitue donc en quelque sorte un permis de détruire ces espaces de friches pour produire une nature habitable, praticable, domestiquée. Celle que, égoïstement peut-être, nous attendons tous.


Renaturation ou décor floral ?


La renaturation est souvent appréhendée comme une démarche de paysagisme. Dans ces cas là, l’espace « naturel » créé n’a aucune autonomie, devient coûteux et demande parfois l’utilisation de produits phytosanitaires dangereux. En réalité la renaturation va théoriquement plus loin qu’un simple « paysagisme ». la renaturation, via les jardins partagés, revêt un enjeu social en cela qu’ils constituent des espaces intergénérationnels mais qu’ils sont aussi un moyen de recréer du lien social dans les villes.


A Rouen comme dans d’autres villes françaises ou du monde, il s’agit de redonner à la nature la capacité d’échapper à l’intervention humaine. C’est en cela que les « corridors écologiques » de la ville de Rouen sont pensés. S’ils ne compenseront pas la destruction d’habitats naturels, ils devraient suivre les préceptes du rapport Brundtland en trouvant ancrage dans les trois piliers du développement durable.



Aujourd’hui la nature est le vecteur principal de l’appropriation de la ville par les citadins, la nature joue donc un rôle de premier plan dans la fabrique de la ville. Aussi, la nature en ville n’est plus seulement un accessoire pour la ville (ce que serait la végétalisation) mais bien, dans le cadre de la renaturation du moins, un élément morphologique à part entière. Mais envisager la nature en ville c’est faire le deuil de la nature sauvage que l’on s’imagine tous à la simple évocation du mot « nature ».


Pour en savoir plus : https://rouen.fr/natureenville#h2-1

Pierre Pech 2014 hypergéo http://www.hypergeo.eu/spip.php?article641


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